Publié dans le magazine l'Enjeu de Septembre 2005 :
Le problème posé consiste à savoir si les directives européennes 92/49/CEE et 92/96/CEE ont abrogé le monopole de la sécurité sociale. Il se trouve que les directives 92/49/CEE et 92/96/CEE ont été complètement transposées dans le droit national Or ces textes sont d'une clarté totale et ne peuvent donner lieu à la moindre interprétation ambiguë. Je me contenterai de citer les articles R 321-l et R 321-14 du code des assurances, R 931-2-1 et R 931-2-5 du code de la sécurité sociale et R 211-2 et R 211-3 du code de la mutualité. Rédigés en termes rigoureusement identiques, ces articles autorisent les sociétés d'assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles à pratiquer les opérations d'assurance branche entière à condition de bénéficier d'un agrément administratif à cet effet. Il est donc établi que toute personne résidant en France a le droit de s'assurer pour l'ensemble des risques sociaux auprès d'un des organismes ci-dessus mentionnés, ainsi qu'en libre prestation de services auprès de sociétés d'assurance européennes bénéficiant d'un agrément dans leur pays d'établissement.
En vertu de l'origine européenne de ces dispositions et de la primauté du droit communautaire, toute disposition nationale législative ou réglementaire contraire est réputée nulle.
J'ajoute que le communiqué du 22 octobre 2004 du ministère français de la Santé, est gravement mensonger puisqu'il fait silence sur les dispositions législatives françaises ci-dessus mentionnées et que le gouvernement ne peut ignorer puisque lui-même et ses prédécesseurs ont accompli l'œuvre législative de transposition des directives dans le sens que je viens d'indiquer et qui ne laisse aucune place au doute sur l'abrogation du monopole de la sécurité sociale. Je conclurai en regrettant que les pouvoirs publics n'informent pas loyalement les Français des véritables conséquences des directives européennes 92/49/CEE et 92/96/CEE, complètement transposées dans le droit national et qui abrogent le monopole de la sécurité sociale. Il est grand temps que le gouvernement dise la vérité aux citoyens, afin de leur faire connaître les droits qu'ils tiennent des lois de la République.
Jean-François Prévost
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l'Université de Paris
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Paru le 29 mai 1997 dans le Figaro (c'est-à-dire avant la condamnation de la France pour manquement en 1999), l'article qui suit analyse les caractéristiques du modèle économique européen tel que défini depuis 1957 par le traité instituant la Communauté économique européenne (CEE) et ainsi confirmé et précisé par le traité de Maastricht sur l'Union européenne de 1992.
Europe: Un modèle social et libéral
Jean-François PREVOST
Etonnant débat que celui qui, à l'occasion de cette dispute électorale, renaît sous nos yeux en opposant le libéralisme à l'interventionnisme. Faut-il croire que l'Europe, qui est pourtant au coeur de la campagne, est à ce point méconnue ?
En effet, le traité instituant la Communauté européenne a, très clairement, depuis longtemps et plus clairement encore depuis Maastricht réglé la question.
Colbert répudié
L'Europe n'est pas colbertiste : elle est libérale. Mais loin de prôner un libéralisme sauvage, elle institue un libéralisme social. Comment peut-on l'ignorer alors que les choses sont si simples et déjà si constamment mises en oeuvre par la Commission et la Cour de justice du Luxembourg ?
Résumons : le traité, qui a une valeur juridique supérieure à toute règle de droit national, proclame une règle de base, en définit le but et en désigne le champ d'application.
La règle de base, c'est que les Etats ont l'obligation d'instaurer « une politique économique... conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » (article 3A).
La finalité de cette règle en conditionne directement la valeur, donc les limites, car la libre concurrence n'est qu'un moyen pour atteindre « l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi » des peuples européens visée par le préambule. Tous les textes convergent dans ce sens : l'acte unique européen prône la « justice sociale » que les Etats membres sont décidés à promouvoir ; le traité CEE s'assigne aussi comme buts : « Un développement harmonieux et équilibré des activités économiques..., une croissance durable et non inflationniste respectant l'environnement..., un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion de vie économique et sociale » (article 2). Enfin, le traité sur l'Union européenne affirme la détermination des Etats à « promouvoir un progrès économique et social équilibré notamment... par le renforcement de la cohésion économique et sociale ». La « libre concurrence européenne » signifie seulement concourir (c'est-à-dire « courir de manière à aller vers le même point, se rejoindre ») vers ces buts sociaux.
Quant au champ d'application, l'article 3 l'énumère en vingt rubriques générales (de la politique commerciale à celle de l'environnement, de la recherche à l'industrie, en passant, entre autres, par l'agriculture, l'énergie, le tourisme, la santé et le domaine social...) que le conseil unanime peut compléter autant qu'il est nécessaire pour atteindre les buts précités (article 235).
Il y a donc une technique (la libre concurrence) au service de buts sociaux clairement énoncés ; et cela dans les plus vastes domaines d'activité.
Si la technique s'écarte du but d'harmonisation sociale, elle est sanctionnée : qu'on en prenne pour preuve, la condamnation des ententes (cartels) : celles-ci ne restent légales que si elles ont pour but de « promouvoir le progrès technique ou économique tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit ».
Nouveau droit de l'homme
Par ailleurs, le plein emploi est l'objectif à la réalisation duquel doivent contribuer la libre circulation des salaires (articles 48 à 51), celle de non-salariés (articles 52 à 59), le Fonds social européen (articles 123 à 125) et la politique de formation professionnelle.
On pourrait multiplier les références quant à la lutte contre les distorsions économiques d'origine sociale, ou encore l'amélioration des conditions de vie et de travail.
En réalité, le principe du système est simple : l'Europe prône, d'accord unanime des Quinze et (en France) de tous ceux qui ont voté en faveur de la ratification du traité de Maastricht), le principe fondamental selon lequel les Etats de la Communauté (auxquels elle ne doit pas se substituer en créant une sorte de « super-Etat » sont dans l'obligation de s'organiser de façon à ce que leurs citoyens et leurs habitants aient accès à un nouveau droit : celui d'optimiser dans la justice et l'harmonie sociale les gains, en marchandises ou services, que sont en mesure de leur procurer leurs ressources.
L'introduction récente ou prochaine de la concurrence dans les secteurs traditionnellement monopolistiques en France (transport aérien, téléphone, électricité...) a ou va faire chuter les prix et donc améliorer de la situation du consommateur, c'est-à-dire de chacun des habitants.
La concurrence sert les intérêts de chacun, mais sert-elle également l'intérêt ? L'épanouissement du « service universel », ce concept européen qui permet d'introduire la concurrence dans les services publics jusque-là monopolistiques en assurant le maintien des services les moins rentables grâce à des fonds de péréquation alimentés par les acteurs qui se sont placés dans les activités économiquement fortes, prouve que c'est le cas.
Contrôle démocratique
Enfin, ce modèle simple peut-il être démocratiquement contrôlé par chacun ? Sans aucun doute.
La Communauté européenne fonctionne par un système de droit qui permet à tout citoyen de l'Union, et même à tout étranger non européen, de saisir par une simple lettre, la Commission plus vigilante et prompte à agir qu'on ne le croit d'une plainte en cartel ou en abus de position dominante ; ce qui permet au plus modeste individu de déclencher les foudres communautaires contre les plus grands groupes mondiaux.
Ces mêmes individus peuvent aussi former devant la Commission une plainte en manquement contre tout Etat communautaire qui, par son action comme par ses lois et règlements, s'opposerait à ces principes fondateurs de libre concurrence. Ce que le citoyen français ne peut pas faire contre une loi inconstitutionnelle (puisqu'il ne peut saisir le Conseil constitutionnel), le citoyen français peut le faire, à tout moment par surcroît, contre une loi non conforme à ce droit communautaire qui a pour but de le protéger. Entre l'Europe et la France, le « déficit démocratique » ne se situe donc peut-être pas là où on le dénonce si hâtivement.
Bien des Français croient que, dans quelques jours, ils se prononceront sur un choix qu'ils ont pourtant fait, et que la France, qui n'a qu'une voix parmi quatorze autres tout aussi respectables que la sienne, ne pourra unilatéralement défaire. Il serait temps de cesser de les tromper. Il suffit pour cela de les rassurer en leur expliquant que le modèle européen répond finalement à leurs voeux les plus profonds, puisqu'il met en place une liberté contrôlée tout entière dirigée vers le mieux-être individuel et commun, c'est-à-dire vers le bien social.
5 commentaires:
Chère Laure.
Merci pour ces textes que je ne connaissais pas et que j'archive.
Ils sont l'affirmation étayée que le monopole n'existe plus en France. Du point de vue de l'offre, les choses sont donc désormais pour moi, limpides.
Mais je reste dans l'obscurité en ce qui concerne le point de vue de la demande.
JFP écrit en effet :
"... Rédigés en termes rigoureusement identiques, ces articles autorisent les sociétés d'assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles à pratiquer les opérations d'assurance branche entière à condition de bénéficier d'un agrément administratif à cet effet.
Il est donc établi que toute personne résidant en France a le droit de s'assurer pour l'ensemble des risques sociaux auprès d'un des organismes ci-dessus mentionnés, ainsi qu'en libre prestation de services auprès de sociétés d'assurance européennes bénéficiant d'un agrément dans leur pays d'établissement..."
Il y a un "non sequitur" dans ce développement que je grossis en en reprenant quelques termes :
"Rédigés ... administratif à cet effet.
Il est donc établi que toute personne résidant en France a le droit de s'assurer ... d'établissement".
Le "donc" n'a pas de raison d'être.
La question de l'interdiction édictée aux concurrents potentiels des organismes de sécurité sociale de les concurrencer - point de vue de l'offre et du monopole - est différente la question de "l'obligation d'être assujetti aux organismes de la sécurité sociale" - point de vue de la demande et de l'obligation -.
La question résultant du point de vue de la demande est à poser.
Et je maintiens qu'en étant pas posée, a fortiori quand on en fait l'impasse (cas de JFP), on se refuse à cerner le vide juridique flagrant qui existe dans le droit communautaire. A fortiori, la question n'a pas reçu de réponse.
Il s'agit "donc" de la poser, de la faire traiter juridiquement et de faire apparaître que la réponse qui lui est donnée implicitement en France jusqu'à présent n'est pas en harmonie avec les principes du droit communautaire - quoiqu'arc-boutés sur le point de vue de l'offre -.
Une demande obligée à tel ou tel organisme de SS ne peut que vicier la libre circulation des personnes, le libre établissement des firmes et la libre prestation de services (principes du droit communautaire).
Internetttement vôtre
Je pense que tout dépend de ce qu'on appelle "organismes de la sécurité sociale", terme tout de même assez vague. Les assurances privées peuvent peut-être être considérées comme telles, au même titre que les mutuelles qui actuellement font de la "sécurité sociale". Dans ce cas la question ne se pose plus.
A travers la définition de ce qu'est un "organisme de SS" on en revient toujours à la même question : qu'est-ce qu'un régime légal ? J'en parlais pour la dernière fois ici.
En ce qui me concerne, désolé pour le hors sujet, mon choix est fait : je quitte la France.
Je vais travailler en Suisse avec mon amie, 8% de charge sociale, 20% d'impot à Geneve.
Et notre choix de s'assurer auprès des (trop) nombreuses assurances sociales santé et chomage de la Suisse.
Bon courage à toutes et à tous.
Bon courage, EiriaTem. Je ferai peut-être de même un jour prochain.
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